Prochaines séances

Mardi 13 mars, nous lirons Les Réputations de Juan Gabriel Vasquez, auteur colombien (Seuil, 2014 & Points).

Samedi 31 mars, nous rencontrerons Kaouther Adimi, pour Nos Richesses, Prix Renaudot des Lycéens, invitée par la Librairie des Pertuis.

Kazuo Ishiguro, Lumière Pâle sur les Collines

Anny présente Kazuo Ishiguro, écrivain britannique d’origine japonaise, prix Nobel de littérature 2017. On pourra lire l’intégralité de son discours de réception à l’Académie de Stockholm (7 décembre 2017) particulièrement éclairant sur le sens qu’il donne à son parcours d’écrivain, né après le bombardement de Nagasaki, nourri de deux cultures, partagé entre «entre le désir d’oublier et le besoin de se souvenir».

Si son œuvre est relativement peu prolixe (7 romans, des nouvelles, des scénarios et quelques textes de chansons), elle brille par son universalité. Ishiguro a reçu de nombreux prix, il est largement traduit, ses romans ont donné lieu à des adaptations cinématographiques, bref, moult raisons de dire en quoi, nous aussi, apprécions de le connaître.

Ceux d’entre nous qui ont lu plusieurs de ses romans en soulignent d’une part la grande diversité, du roman le plus britannique comme Les Vestiges du Jour à cette troublante dystopie qu’est Auprès de moi toujours, d’autre part la permanence des questionnements sur les relations entre les individus ou encore la tension entre tradition et modernité.

Ishiguro a passé la plus grande partie de sa vie en Angleterre ; pourtant il revendique la nécessité de dire «son Japon inventé, les nuances particulières de ce monde, ses coutumes, ses règles de savoir-vivre, sa dignité, ses lacunes». En effet, Lumière Pâle sur les Collines, son premier roman (1982), se déroule et dans la campagne proche de Londres, et à quelque distance de Nagasaki, «On croirait qu’il ne s’est jamais rien passé ici /…/ toute cette zone a terriblement souffert quand la bombe est tombée/…/ et pourtant» (p. 176). Il nous embarque dans un clair-obscur de douces collines, à la fois naturel et angoissant.

Ishiguro narre comme s’il n’était qu’un observateur distant de situations tout aussi étranges que ses personnages qui vont du présent au passé, du rêve à la réalité, sans que le lecteur puisse savoir si ce qui est raconté est vécu, fantasmé ou modifié par la mémoire. Les deux couples mère-fille Etsuko-Keiko et Sachiko-Mariko, les deux lieux celui des ancêtres et celui de l’exil, les deux temps, interrogent la responsabilité, voire la culpabilité des mères, dans le fait de n’avoir pas su/pu préserver leur enfant des traumatismes. Au fil des pages, il s’agit de déplacer prudemment les pièces de l’échiquier, parce que ceux qui ont vécu le Japon d’avant la bombe, ceux à qui on a appris que « le Japon avait été créé par les dieux » (p. 106), «à ne pas ouvrir les yeux et à ne rien remettre en question» (p. 237), perçoivent la menace d’une modernité sans conscience : «de nos jours les enfants achèvent leurs études sans rien connaître de l’histoire de leur propre pays» (p. 106). Au fil des pages, subrepticement, Ishiguro donne quelques clés pour construire du sens dans cette superposition passé-présent-rêve-souvenir «où il y avait dans l’air quelque chose de transitoire» (p. 14) et pour offrir au lecteur sa part indispensable d’interprétation.

Partager nos impressions de lecture, voire de relecture, nous permet de dire la subtilité du mode d’écriture d’Ishiguro. Les effets de miroir, les non-dits, les indices qui suggèrent l’angoissante instabilité des personnages ou les spécificités de la culture japonaise traditionnelle. Les curieuses répétitions qui jalonnent les dialogues comme des rituels qui pourraient répondre à l’incompréhensible. Le décor qui privilégie l’obscurité, les ombres, le brouillard, l’eau marécageuse, les ciels gris, qui offre des éléments troubles à la mesure de l’ambigüité des anecdotes, des comportements et des pensées intimes des protagonistes. L’art de distiller le tragique avec les scènes de noyade, les escapades de Mariko de nuit au bord de la rivière, la récurrence de la corde…

Notre rencontre avec Ishiguro illustre le sens profond que l’auteur dit attribuer à la littérature : «Les histoires peuvent distraire, et parfois vous instruire ou défendre un point de vue. Mais pour moi, l’essentiel est qu’elles communiquent des émotions. Qu’elles en appellent à ce que nous partageons en tant qu’êtres humains par delà nos frontières et nos dissensions.»

* les citations en italique non indicées sont extraites du Discours de réception du Nobel

On a lu, on lira

Lire Ishiguro, c’est aussi l’occasion d’aller plus avant dans la littérature japonaise contemporaine, celle que le Café Littéraire avait déjà abordée avec Murakami (voir CR sept 2014), celle que popularise l’adaptation cinématographique, par exemple Les Délices de Tokyo de Durian Sukegawa. S’y ajoute celle que nos amateurs de gros volumes nous recommandent et qui évoque un Japon traditionnel : Ingrid J. Parker avec Les Enquêtes de Akitada Sugarawa (10/18) ou Le Clan des Otori (Folio) une série de romans de Lian Hearn se déroulant dans un Japon féodal imaginaire.

Compte-rendu du Café Littéraire du 6 février 2018