Hommage

Un moment d’émotion en apprenant le décès de Francis Dubalans, directeur de la Médiathèque de St Georges, avec lequel nous avons partagé de belles rencontres culturelles.

Agenda

Mardi 12 décembre, nous accueillerons Michèle Audin, pour son dernier livre Comme une rivière bleue (Gallimard, 2017). A noter que lundi 11, lors de la conférence de l’UTL, Michèle Audin parlera de son livre La Formule de Stokes, roman (Cassini, 2016).

Autre rendez-vous à ne pas manquer, la projection de Au cœur des robots, un film documentaire réalisé par Bruno Victor-Pujebet, suivi d’un débat animé par Gérard Ferrand, mardi 28 novembre à 17h à la Médiathèque de St Georges.

Actualité littéraire

Le mois des prix littéraires nous inspire deux constats. D’une part, les prix ont été majoritairement attribués à des auteurs hommes : le Goncourt à Eric Vuillard pour L’Ordre du Jour (Actes Sud), le Renaudot à Olivier Guez pour La Disparition de Josef Mengele (Grasset), le Médicis à Yannick Haenel pour Tiens ferme ta couronne (Gallimard), le Médicis étranger à Paolo Cognetti pour Les huit Montagnes (Stock), le Femina à Philippe Jaenada pour La Serpe (Julliard), le Femina étranger à John Edgar Wideman pour Ecrire pour sauver une vie : le dossier Louis Till, récit (Gallimard). D’autre part, ces romans s’inspirent de faits appartenant à l’Histoire avec un grand H ou à l’histoire de faits divers attestés. En outre, bon nombre de livres de la rentrée littéraire corroborent cette orientation. Ceux dont nous avons parlé lors de nos précédentes séances, par exemple Nos Richesses de Kaouther Adimi (prix Renaudot des lycéens) ou L’Art de Perdre d’Alice Zeniter (prix Goncourt des lycéens) ou encore Bakhita de Véronique Olmi; s’y ajoutent des titres qui ont suscité la curiosité de certains comme De Retour à Lemberg de Philippe Sands (Albin Michel), ou Adam et Eve de Stephen Greenblatt (Flammarion), ou encore Le chien, la neige, un pied de Claudio Morandini (éditions Anacharsis, 2017).

Nous avons lu, vu et/ou entendu

Dans le cadre du Festival des Cultures Francophones de Marennes, d’une part la rencontre avec Irina Teodurescu, auteure roumaine, pour ses deux romans, La Malédiction du Bandit Moustachu (Gaïa, 2014) et Les Etrangères (Gaïa, 2015) ; d’autre part la conférence d’Henriette Walter, éminente linguiste, sur la question fort actuelle de la féminisation du lexique. Nous avons eu également la primeur de son dernier ouvrage, La Majestueuse Histoire du Nom des Arbres (Robert Laffont, 2017).

Un petit temps de discussion sur le film Au Revoir Là Haut, adapté du roman de Pierre Lemaître que nous avions chroniqué en février 2014.

A propos de notre lecture

Très présente dans les médias depuis la parution de Souvenirs de la Marée Basse, Chantal Thomas livre peu de sa vie personnelle. Née à Lyon en 1945, elle passe son enfance à Arcachon, s’installe ensuite à Bordeaux, puis à Paris. Chantal Thomas a fait sa thèse sur Sade avec le sémiologue Roland Barthes qu’elle considère comme son maître à penser. Directrice de recherche au CNRS, romancière, essayiste, dramaturge, historienne spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle, elle a publié de nombreux essais, notamment sur Sade, Casanova et Marie-Antoinette. Elle enseigne dans diverses universités américaines et collabore au Monde et à des productions de Radio France.

Chantal Thomas a reçu en 2014 le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres pour l’ensemble de son œuvre. Elle a été en 2002, lauréate du prix Femina pour son premier roman, Les Adieux à la Reine, consacré aux derniers jours de la cour de Versailles, adapté au cinéma par Benoit Jacquot. L’adaptation cinématographique par Marc ­Dugain de L’Échange des Princesses (Seuil, 2013) est annoncée pour fin décembre 2017.

Chantal Thomas est également l’auteure de récits plus personnels, La vie réelle des petites filles, Comment supporter sa liberté, Souffrir, L’Ile flottante, ou encore Les Cafés de la Mémoire. Elle trace ainsi les contours d’un genre mi-récit, mi-roman qu’elle appelle l’autobiographie indirecte, qui mêle subtilement les choses de cette vie, les références littéraires, les interrogations, les images sensorielles, les émotions et les bribes d’existence. Souvenirs de la marée basse est de ceux-là.

 

 

Le titre Souvenirs de la Marée Basse fait référence à celui d’un chef d’œuvre de la gravure sur bois japonaise de 1789, signé Kitagawa Utamaro. Avec ce roman, Chantal Thomas nous entraîne sur deux traces parallèles, celle de sa mère Jackie, pour qui la pratique du crawl était l’espace de liberté, et celle de ses propres années d’enfance à Arcachon. Le livre de souvenirs ne se veut ni chronologique, ni exhaustif, ni mémoriel. Cette suite de courts chapitres met discrètement en scène quatre générations, une famille à six personnages (la mère Lunatique, le père Silence) qui traverse le XXème siècle, va de la Côte d’Argent à la Côte d’Azur, du cap Ferret au cap Ferrat. Car Jackie, la mère, est sûre qu’il est plus aisé de découvrir le bonheur quand on vit auprès d’un rivage. Chantal Thomas construit son récit comme le plaisir d’édifier un château de sable, un empilement de fragilités que la marée viendra inéluctablement effacer.

Bien sûr, on s’interroge sur le portrait de cette mère jamais adulte, qui jusqu’à la fin de sa vie refusera de singer les grandes personnesMélancolique, étrange, neurasthénique, oublieuse, mais aussi lumineuse, fantasque, dotée de la carapace de résistance des poupées malmenées, la plume de Chantal Thomas égrène les qualificatifs comme pour partager avec son lecteur la complexité de la relation mère-fille. Idem pour ce qui est de la sincérité pudique à l’égard de son propre parcours d’enfance : Je ne grandis pas, je change.

Apprécier l’écriture de Chantal Thomas, c’est aussi le plaisir de lire à haute voix. On se délecte de l’énumération des objets hétéroclites, tabatières, louis d’or et épingles à chapeaux, qui gisent au fond du Grand Canal lorsque Jackie y nage sans vergogne ; on partage, ou on déteste, la diatribe à l’encontre de Madame de Sévigné qui envoie deux ou trois fois par semaine des lettres de dix à trente feuillets à sa fille Françoise-Marguerite, alors que Jackie-Marguerite expédie à sa fille Chantal un azur de carte postale griffonnée au coin d’une table de café ; on s’émeut de la dernière vision de la mère bataillant dans la tempête, livrée à tout vent, le visage ruisselant, lorsque Chantal Thomas, à l’abri de la vitre de l’autobus qui la ramène à Nice, conclut : Nous ne faisions qu’une. Ces pans de lecture révèlent la finesse du propos, la fluidité du style, invitent à découvrir plus avant un univers de métamorphoses, versatile, insaisissable.

En guise de conclusion, on se dit que ce roman doux-amer pourrait bien satisfaire aux-deux-critères-de-mireille, à savoir on a envie de l’offrir et certainement de le relire.

 

Compte-rendu du Café Littéraire du 14 novembre 2017